Un traileur à la dérive
Faire de la musculation serait bénéfique pour que le cœur ne s’emballe pas au fur et à mesure que l’effort se prolonge. En effet, lorsqu’un exercice d’une intensité constante s’installe dans la durée, on observe ce que les physiologistes appellent « la dérive cardiaque ». La courbe ci-dessous illustre cette dérive relevée au cours d’une séance de fractionné (5x1000m) : la fréquence cardiaque obtenue lors du dernier 1000m est bien supérieure à celle relevée lors de la première répétition (courbe en rouge).
Dérive cardiaque constatée avant et après entrainement (site volodalen.com)
Mais quelle est l’origine de ce phénomène ? Plusieurs hypothèses sont évoquées. La déshydratation pourrait être en jeu : la pompe cardiaque serait obligée d’accélérer la cadence pour faire circuler un sang plus visqueux. Mais une autre piste est avancée : celle de la fatigue des fibres lentes. Pour simplifier, nous sommes tous constitués dans des proportions différentes de fibres I (également appelées fibres lentes), de fibres IIa (fibres intermédiaires) et de fibres IIb (fibres rapides). Ce n’est un secret pour personne, le trail fait partie de la catégorie des sports d’endurance. Cette activité privilégie donc le recrutement des fibres lentes, tel qu’on peut l’observer sur le schéma ci-dessous avec une activité d’intensité « légère ».
Recrutement des fibres musculaires en fonction de l’intensité de l’exercice
Cependant même à intensité légère à moyenne, le contenu en glycogène des fibres lentes (première source d’énergie) diminue. A un moment donné, les forces déclinent inévitablement. L’organisme doit alors compenser l’affaiblissement des fibres lentes par une contribution plus importante des fibres intermédiaires et rapides (Wilmore, Costill, & Kenney, 2009). Or, ces deux dernières consomment plus d’oxygène. Et pour apporter cet oxygène supplémentaire aux fibres musculaires, le débit cardiaque (et donc la fréquence cardiaque) augmente.
Mais alors comment surmonter ce phénomène ? Vous l’aurez deviné : par la musculation ! En permettant à l’individu de solliciter ses muscles au maximum de leur puissance, elle accroit la force maximale des fibres lentes. Par voie de conséquence, la musculation offre la possibilité de reculer le moment où l’on doit faire appel aux fibres rapides et intermédiaires. Et ainsi éviter que notre cœur parte à la dérive !
En pratique, il ne s’agit pas de calquer son entrainement sur celui du culturiste. Mais de nombreuses études (Sport et Vie n°141) montrent que des coureurs de fond d’élite ayant introduit de la musculation dans leur préparation avaient vu leur performance croitre. Selon certains, il s’agirait même de l’unique solution pour faire progresser un coureur déjà très performant !
L’une de ces études montre même qu’un groupe ayant réduit de 30% son volume d’entrainement en aérobie et l’ayant remplacé par des séances de musculation de type explosif avait sensiblement abaissé son temps sur 5000m. Résultats qui n’ont pas été constatés sur le groupe contrôle (étude menée par le centre olympique finlandais à propos de coureurs d’orientation). Certes, un 5000 m n’est pas un ultra-trail. Mais en termes de prévention du surentrainement, d’entrainement croisé ou d’optimisation de l’entrainement, il parait sage de méditer sur ces résultats !