Phénomènes physiologiques et anatomiques du gainage
Nous l’avons évoqué, le gainage est la deuxième composante de l’équilibre. Tout traileur bien informé sait qu’il est nécessaire de « faire du gainage », mais pour quelles raisons ?
Le gainage est la capacité à maintenir son corps dans une posture respectant l’individu et l’efficience du mouvement. Au regard de cette définition, « être gainé » permet de satisfaire à cette double exigence de performance et de santé.
Si les membres inférieurs sont le « moteur », la partie du corps concernée par le gainage sera le thorax. Il s’agira alors d’avoir un tronc gainé, c’est-à-dire tonique, pour une transmission des forces optimale entre bas et haut du corps.
Afin d’expliquer l’intérêt du gainage, nous pouvons nous représenter le thorax comme un « caisson », constitué de 6 parois. Lorsque ces dernières sont contractées en synergie, il en résulte :
- Un partage des contraintes mécaniques. Plutôt que de solliciter seulement la colonne vertébrale, les pressions s’appliquent à l’ensemble du caisson abdominal qui forme un « bloc » comme schématisé ci-dessous. Soyons donc gainés, nos disques intervertébraux nous en remercieront !
Les contraintes mécaniques s’appliquent principalement à la vertèbre (schéma 1), alors qu’elles se répartissent sur l’ensemble du « caisson abdominal » lorsque le coureur est gainé (schéma 2)
- Une prévention du dos : le fascia thoraco-lombaire sollicité par la contraction du transverse et des obliques internes stabilise alors les vertèbres. De plus, les muscles spinaux se dilatent et s’agrandissent « étirant » ainsi la colonne vertébrale.
Les 6 parois de ce caisson sont composées :
- Pour la partie antérieure, des abdominaux, le droit de l’abdomen principalement ;
- Pour la partie latérale, des obliques internes et externes et du transverse ;
- Pour la partie postérieure, des muscles profonds du dos.
- Pour la partie supérieure, du diaphragme ;
- Pour la partie inférieure, du périnée.
Chacun de ces muscles a ses spécificités dont il faut avoir conscience pour mener un travail de gainage efficace.
a) Le droit de l’abdomen
Le droit de l’abdomen, ou les tablettes de chocolat plus ou moins fondu, est certainement le plus connu des muscles abdominaux. Et pourtant, c’est celui auquel on doit accorder le moins d’attention. Concernant ce muscle, il convient de prendre en considération quelques éléments importants.
- Reliant le sternum au pubis, il est fléchisseur de tronc. Tout exercice de fermeture de cuisse sur tronc sollicite le droit de l’abdomen, mais travaille plus fortement l’ilio-psoas, dont son renforcement est très controversé ;
- S’il est travaillé sans contraction du muscle transverse (cf ci-après), il devient antagoniste (qui produit une action contraire) à celui-ci. C’est-à-dire que très concrètement, un mauvais travail du droit de l’abdomen a pour conséquence un relâchement du transverse (effet opposé à celui recherché) associé à une augmentation de la pression intra-abdominale (mauvais pour le périnée). Aussi, pour le coureur, je conseillerai de ne jamais travailler les abdominaux sous forme de crunch, ou relevé de buste en français. Cette forme de travail est trop souvent mal exécutée (relâchement du transverse, travail du psoas-iliaque, mauvaise respiration). On préférera donc un travail en isométrie abordé ci-après.
Le droit de l’abdomen
b) Les obliques internes et externes
Grâce au maillage formé par leurs fibres perpendiculaires, les obliques couvrent toute la partie antéro-latérale du caisson abdominal. C’est dans cette optique qu’un bon travail de préparation autour du trail intégrera leur sollicitation. Ces muscles servent à la rotation du tronc. Mais leur contraction simultanée produit, tout comme le droit de l’abdomen, une flexion du tronc.
Les obliques internes (image gauche) et externes (image droite)
c) Le transverse
Le transverse est le plus profond des abdominaux. Parcequ’il ne se voit pas, le pratiquant a tendance à l’ignorer. A tort ! Des muscles constituant la paroi abdominale, il est certainement celui qui mérite le plus d’attention car, contrairement aux précédents qui sont moteurs, le transverse est un stabilisateur du tronc. Sa contraction provoque une compression des organes abdominaux. En d’autres termes il permet de « serrer » les abdominaux, de rentrer le ventre. Bien entendu l’intérêt pour le traileur n’est pas d’affiner sa silhouette au moment de passer devant le photographe mais plutôt d’avoir un transverse tonique pour diminuer le périmètre abdominal. Quelle aubaine, c’est justement l’effet recherché, comme évoqué précédemment à propos du partage des contraintes mécaniques (schémas 1 et 2 ci-dessus).
Autre intérêt, sa sollicitation aboutit à une contraction des multifides, ces petits muscles profonds si importants à la stabilisation de la colonne vertébrale.
Par ailleurs, le transverse peut être considéré comme un starter du mouvement. En effet, une activité électrique est enregistrée 110 ms avant un mouvement de jambes (Paul Chek ; How to be back strong and beltless). Preuve s’il en est, que le transverse participe bien à la motricité du coureur.
Des lors, comment contracter ce fameux transverse ? On rentre le ventre, OK. Mais pour le travailler efficacement, il convient de réduire au maximum les pressions intra-abdominales en respectant la combinaison de l’auto-agrandissement, de l’expiration (voire apnée expiratoire) et de la contraction du périnée.
Le transverse
d) Les muscles profonds du dos
Il serait fastidieux de les citer tous. Retenons qu’ils remplissent pour la plupart le double rôle d’érecteurs et de stabilisateurs du rachis. Leur renforcement est à ce titre primordial.
Il en découle que les exercices de gainage dorsal devront trouver leur place dans la préparation du traileur, ce groupe musculaire étant trop peu sollicité lors d’exercices de gainage ventral (Snarr RL and Esco MR. Electromyographical comparison of plank variations performed with and without instability devices ; 2014).
e) Le diaphragme
Muscle principal de la respiration (inspirateur), le diaphragme régule la pression intra-abdominale. Lorsqu’il est en position basse (contracté), il comprime l’abdomen, poussant le ventre en bas et en avant, augmentant ainsi la pression intra-abdominale.
Conséquences pratiques, il faudra dans la mesure du possible privilégier un travail de gainage en apnée expiratoire, ou expirer lors de la phase d’efforts la plus intense. Ce qui, avouons-le, n’est pas compatible avec des exercices de gainage de longue durée.
Le diaphragme
f) Le périnée
Le périnée constitue la paroi inférieure du caisson abdominal. Toute pression intra-abdominale provoquera une poussée sur celui-ci comme illustré sur le schéma suivant (image 1). Par souci de santé (incontinence, prolapsus…), on veillera à limiter cette pression en suivant les préconisations énoncées ci-dessus (travail en expiration, pas de crunch…). Cette précaution vaudra plus particulièrement chez la femme pour qui la course à pieds est le sport le plus pourvoyeur d’incontinence, en touchant tout de même 38% des sportives (Marie-José Duque-Ribeiro).
Respiration, pression intra-abdominale et périnée
Comment gainer ?
Fort de ce constat, nous retiendrons comme principes pratiques du gainage :
- Rechercher un auto-grandissement maximum ;
- Maintenir la distance entre sternum et bassin afin de ne pas abaisser le diaphragme ;
- Contracter le transverse par l’expiration forcée (apnée expiratoire), l’auto-grandissement et la contraction synergique du périnée ;
- Ouvrir la cage thoracique pour permettre aux viscères de « remonter ».